Faits de Société

Harcèlement de rue au Bénin : une histoire ordinaire

Je me souviens de ma première expérience de harcèlement de rue comme si c’était hier. J’avais 13 ans, et j’étais en 3e. J’étais une enfant, dans le corps d’une enfant et je revenais de l’école un mercredi soir après une séance de travaux dirigés.

J’avançais tranquillement dans la ruelle qui menait à ma maison quand un groupe de garçons s’est approché de moi. Ils courraient et je me retrouvai au milieu de leur course effrénée tel Mufasa quand il est tombé sous les talons de la horde de gnous dans le Roi Lion. Je n’ai pas connu le même sort que le père de Simba. Mais je ne m’en suis pas sortie indemne non plus. Chacun de ces garçons a touché une partie de mon corps de façon inappropriée en me dépassant.

Cette expérience, d’une violence inouïe pour moi, a été mon introduction personnelle à une réalité féminine douloureuse : mon corps est en danger dans l’espace public.

Une violence sexiste ordinaire

Le harcèlement de rue est un ensemble de comportements qui visent à attirer l’attention, interpeller des personnes dans l’espace public. Il peut s’agir de sifflements, d’attouchements, d’insultes, d’intimidations ou encore de commentaires malaisants.

J’adorerais pouvoir dire que mon expérience était un cas isolé, que ces jeunes garçons étaient tout simplement mal élevés, mais en réalité, il n’y a pas plus courant, plus ordinaire que le harcèlement de rue.

En tant que femmes, on est même préparées à le vivre. La première claque de fesse, le premier sifflement, la première insulte est comme un rite de passage obligatoire. Il marque tout autant nos vécus de femmes que les premières règles.

D’une certaine façon, on nous demande de voir le harcèlement de rue comme un compliment, il serait le signe que l’on plait. Pourtant, comme le montre le résultat de notre sondage, rares sont les femmes qui considèrent ces pratiques comme des compliments. 88,8 pour cent des femmes ont défini le harcèlement de rue comme des pratiques irrespectueuses.

Sondage harcèlement de rue, AGOODOJIE Janvier-Avril 2023

On parle de violence sexiste ordinaire parce que les femmes sont les principales cibles de ce harcèlement et que ce type de comportements est tellement absorbé qu’on le trouve normal, banal et qu’il ne choque plus.

Cependant, toutes les femmes, dès l’adolescence, y sont confrontées régulièrement en fonction de leur fréquence de sortie, de leur compagnie ou du moyen de transport utilisé.

Sondage harcèlement de rue, AGOODOJIE Janvier-Avril 2023

Les rouages du harcèlement de rue

Comme nous l’avons dit plus haut, cette violence sexiste est banale et ordinaire. Pourtant les composantes autour n’ont rien d’insignifiant.

Le corps des femmes, partie signifiante de l’espace public

En théorie, chacun a le droit de disposer de son corps comme bon lui semble. Le corps est la propriété privée de l’âme qui l’occupe. Mais dans la rue, le corps des femmes parait appartenir à tous. Chacun se permet de l’analyser, le toucher ou exiger quelque chose de lui : un sourire, une réponse, un numéro.

On dirait que les femmes sont placées dans la rue pour le bon plaisir de ces messieurs. Elles ne peuvent se dérober à un contact, un appel sans faillir à une sorte de règle préétablie. Cette situation crée, chez beaucoup de femmes, un sentiment d’insécurité dans la rue, même dans des espaces jugés sûrs pour tous. Seulement 16,2 pour cent des femmes de notre sondage se sentent pleinement en sécurité dans la rue.

Sondage harcèlement de rue, AGOODOJIE Janvier-Avril 2023

Les techniques de détour du harcèlement de rue

Sondage harcèlement de rue, AGOODOJIE Janvier-Avril 2023

En réalité, ce qui nous fait peur ce n’est pas spécialement les interpellations, les insultes ou menaces, même si ces dernières affectent négativement nos sorties. C’est parce que nous savons pour l’avoir appris de nos mères, de nos sœurs ou des médias, qu’une femme peut être violée ou tuée suite au harcèlement de rue, en fonction de sa réaction.

Puisque l’on ne se sent pas en sécurité dans la rue, se préparer pour une sortie revient à aller sur un champ de bataille. Les femmes ont imaginé des stratégies ancestrales qui se passent de mère en fille, et qui s’actualisent au fil du temps.

Si la technique de prédilection semble être de prétendre ne pas avoir entendu qu’on est appelée (22 pour cent des femmes la préfèrent selon notre sondage), certaines sont tout simplement moins présentes dans l’espace public ou ne sortent qu’accompagnées.

La plupart des hommes ne respectant que la présence d’autres hommes, personnellement je préfère sortir avec mon (petit) frère ou un ami de confiance quand je n’ai vraiment pas envie de prendre le risque d’être interrompue dans ma course.  

Certaines encore sont obligées de faire des détours ou de mentir, parce qu’il arrive que ces messieurs, par quelque élan d’entrepreneuriat, se décident à vous suivre, que vous soyez à pied ou sur un Zémidjan pour vous contraindre à leur donner votre contact.

Un faible pourcentage de femme n’hésite pas à réprimander, insulter en retour ou répondre violemment pour exprimer leur désaccord.

Les conséquences du harcèlement de rue sur la vie des femmes

Sondage harcèlement de rue, AGOODOJIE Janvier-Avril 2023

À la question le harcèlement de rue à t-il des répercussions sur votre vie, seulement 50 pour cent de nos sondées ont répondu oui. Pour ma part, je pense que ce pourcentage serait plus élevé si le harcèlement de rue n’était pas une violence ordinaire.

Les femmes aussi ont normalisé cette violence. On se dit que c’est normal d’avoir peur de sortir de chez nous, de changer de chemin quand on aperçoit un groupe d’homme au bout d’une ruelle ou encore de faire semblant d’être au téléphone.

L’internalisation du harcèlement de rue s’explique bien par le fait que nous apprenons nos premières techniques de détours de nos mamans.

Certaines ont répondu que le harcèlement n’a pas de conséquences sur elles parce qu’elles sont conscientes de ne pas être responsables du comportement déplorable des hommes dans la rue. Elles choisissent de ne pas laisser le harcèlement les impacter.

Je vais maintenant partager avec vous quelques réponses du sondage à la question qu’elles sont les conséquences du harcèlement de rue sur votre vie.

Oui et non. Oui parce que si tu n’as pas une forte estime de soi (ce que moi, j’ai vraiment, ce n’est pas le cas chez d’autres copines), tu te sens sans valeur.

Non parce que je me dis que ce sont eux qui ont raté l’éducation et pas moi.

Il m’arrive de ne pas me rendre à certains endroits, rien que pour éviter. Quand je passe devant un groupe d’hommes, je suis anxieuse à l’idée qu’on puisse porter atteinte à mon intégrité physique (tapes sur les fesses)

Une grosse perte de temps

Ça me dégoûte encore plus des hommes

Cela m amène à être très agressive

Je fais beaucoup attention à ce que je porte pour ne pas être accusé de coupable en raison de mon habillement

Parfois ça rend certains lieux infréquentables. Pour éviter cela, mon habillement aussi se fait beaucoup plus contraignant pour moi, i.e plus couvert

On a l’impression que c’est sa faute. On s’imagine qu’on s’habille peut-être mal. Du coup, on troque sa personnalité contre des vêtements plus larges pour un minimum de sécurité.

Ça ne nous permet pas d’être autonome

J’ai souvent peur et je me retiens de sortir comme je le voudrais

je dois être assez regardante sur ma tenue parce que je suis née dans un environnement où le garçon n’a pas été éduqué à maîtriser ses pulsions et la société m’accusera en premier si je suis victime ne serait-ce que du Harcèlement de rue (pas encore harcèlement sexuel) en raison de mon style vestimentaire.

Après 22h , j’ai peur de rentrer parce que je suis née dans une société où tout le monde a pensé, travaillé et orchestré la question de sécurité comme relevant de l’attribut de l’homme. « Si tu n’es pas un homme, reste chez toi la nuit car qui s’aime, se valorise et se respecte et sait qu’elle doit rester à la maison la nuit pour ne pas subir les déconvenues « 

On remarque dans ces réponses, une peur d’être culpabilisées et une certaine retenue de vivre pleinement. Les femmes n’arrivent pas à investir l’espace public avec la même désinvolture que les hommes. On a peur de sortir, de voyager, de nous exprimer tout simplement.

Cela me fait penser à la chanson que Mère Gothel chante à Raiponce dans le film Disney pour la dissuader de quitter sa tour. Le monde est méchant et rempli de danger. Le harcèlement de rue est presque un outil, consciemment ou inconsciemment utilisé par les hommes, pour maintenir les femmes dans l’espace privé.

Comment lutter contre le harcèlement de rue ?

Mon corps ne fait pas partie de l’espace public

L’éradication du harcèlement de rue va de pair avec la chute du patriarcat. Un système qui érige une partie de la population au-dessus de l’autre en fonction du sexe et du genre ne fait que favoriser les droits que les uns pensent avoir sur les autres.

Il nous faut déconstruire en tant que société un bon nombre de modes de pensées et d’actes que nous avons normalisé et accepté. Voici donc une petite liste d’actions pratiques proposées par votre blogueuse et les merveilleuses femmes qui ont participé à notre sondage pour ensemble venir à bout du harcèlement de rue.

Une pénalisation du harcèlement de rue

Ces dernières années, les droits des femmes sont clairement une constante préoccupation de nos autorités. En 2021, la loi sur les violences basées sur le sexe a été enrichie. Toutefois, c’est avec tristesse qu’on se rend compte qu’en droit béninois, l’agression sexuelle n’existe pas. Pourtant, la plupart des actes que subissent les femmes dans la rue peuvent être qualifiés d’agressions sexuelles (la fameuse tape sur les fesses par exemple).

Nous sommes des citoyennes et nous avons le droit de nous sentir en sécurité partout. Alors s’il faut une qualification juridique du harcèlement de rue et de l’agression sexuelle assortie de sanctions afin de dissuader certains individus de porter atteinte à ce droit, l’État doit le mettre en place.

Franchement les hommes … commencer à sensibiliser les jeunes hommes sur ça et même sortir une loi… quiconque harcèle une jeune fille dans la rue finis en taule ..je veux pouvoir aller courir sans qu’ont ne me regarde comme celle qui est sorti avec son collant pour chercher des mecs…je veux pouvoir aller au resto seule sans être vu comme une chercheuse de client … c’est horrible

Au delà d’une pénalisation du harcélement de rue, il serait important que les agents chargés de nous proteger soient formés à être à l’écoute des femmes dans la rue et ne perpétuent pas eux-mêmes ces violences. Il faudrait également que les rues soient plus éclairées et que les agents soient plus facilement accessibles afin de dénoncer les individus répréhensibles.

Si même les agents qui sont censés nous protéger (police) font ce genre de choses va t’on s’en sortir ? Je pense que la *sensibilisation* a trop durer. Il faut commencer à dissuader ces gens surtout dans les marchés aujourd’hui c’est la rue

Le consentement, un indispensable dans tous rapports humains

J’entends déjà les hommes dire «elles exagèrent. On ne peut plus aborder une femme tranquillement dans la rue. On a plus le droit de draguer». Pourtant, il y a bel et bien une différence entre le harcèlement et la drague. J’ai le plaisir de vous informer que poursuivre une femme sur des km, lui crier dessus, la pousser à vous donner son numéro, la toucher sans son consentement ne vous donne aucune chance de la séduire, bien au contraire.

La principale différence entre harcèlement et drague c’est le consentement. Quand on parle de drague, il s’agit d’un échange de procédés marqué par un respect de l’autre. Je peux comprendre que recevoir un refus puisse être difficile, mais il est impératif d’arrêter de le prendre personnellement. Une femme qui vous dit non ne fait pas de vous un moins que rien. Si toutes les femmes vous disent non, remettez-vous en question. Vous vous y prenez surement mal.

Que les hommes aient plus de respect pour la gente féminine serait un grand pas

En outre, il nous revient d’éduquer nos enfants au consentement et au respect des autres pour éviter d’élever une nouvelle génération d’hommes problématiques. Il faudrait qu’ils sachent que leur liberté s’arrête là où commence celle des autres. Ils doivent savoir que les femmes dans la rue ne leur doivent absolument rien. Ce sont des êtres à part entière, pas des objets sexuels à leur disposition.

je pense que tout part des mentalités et de l’éducation, tout part de la base, du respect des autres, des femmes quand on est un jeune garçon, un petit enfant. Cela pourrait être une solution à long terme, à court terme à part des menaces sur les gens, voir des condamnations pénales je ne sais pas vraiment

Construire la confiance en soi des filles

Quand on vit dans une société qui nous objective, nous réduit à nos corps, il est difficile de croire et d’avoir confiance en soi. On ne vit pas pour soi, on n’a pas conscience de ses pleines capacités. En éduquant les jeunes garçons au consentement et au respect des femmes, il est impératif d’inculquer aux jeunes filles la confiance en soi.

Cela passe inévitablement par la connaissance de ses droits. Elles doivent savoir que leur corps leur appartient qu’une mini-jupe, un jean ou une robe n’excuse pas le harcèlement, le viol ou les agressions. Elles doivent pleinement avoir conscience du fait qu’elles ne sont pas responsables des violences subies.

Pour finir, je ne le dirai jamais assez, le salut des femmes se trouve dans la sororité. Apprenons aux filles à s’aimer et à voir les autres filles comme des alliées. Ensemble, nous réussirons à briser les jougs du patriarcat.

Un grand merci à toutes les membres de l’Armada sans qui cet article n’aurait été possible.🤍

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