Au début de l’année 2018, une polémique avait agité les esprits et fait chauffer les écrans sur Facebook : il s’agissait de la robe de la chanteuse béninoise Sèssimè. La belle avait arboré à la soirée d’anniversaire du groupe Magic Système une superbe robe Versace qui épousait ses formes et possédait une fente vertigineuse jugée indécente par la plupart des internautes béninois. Elle avait été lynchée et insultée. Sèssimè ne s’était pas prononcée sur cette polémique, mais bon nombre de personnalités publiques béninoises l’avaient défendue. Je fais un rappel sur cet événement afin de lancer une petite discussion sur une pratique assez courante ici, mais dont on n’entend presque pas parler, le slutshaming.
Qu’est-ce que le slutshaming ?
Cette expression anglaise est composée de deux mots : slut (salope/pute) et shame (honte). Elle a été créée par des féministes canadiennes et signifie littéralement « l’humiliation des salopes ». Dans les faits, elle consiste donc à humilier les femmes pour leur manière de s’habiller et leur façon d’exprimer leur sexualité. Au Bénin, cette pratique se manifeste sous diverses formes et s’exprime notamment en violences morales, et même physiques parfois. Quand elles ne se font pas longuement insultées, les femmes reçoivent des coups en pleine circulation pour avoir osé porter un dos nu ou une jupe laissant entrevoir, comme Sèssimè leurs cuisses. Mais le slutshaming ne s’arrête pas au style vestimentaire. En effet à Cotonou, une femme, peut se faire traiter de salope et être publiquement rabaissée pour avoir simplement refusé de donner son numéro de téléphone ou parce qu’elle l’a donné trop rapidement. On se souvient tous de cette chanson drôle de Xtime, Kpoclé, qui paraît au premier abord discriminatoire et sexiste mais qui illustre parfaitement comment se manifeste le slutshaming dans la société béninoise. En outre, posséder des biens matériels qui semblent être au-dessus de ses moyens ou avoir une promotion au travail quand on est une femme qui s’habille en mettant en valeur son corps signifie directement qu’on est probablement passée par le droit de cuissage.
Pourquoi le slutshaming ?
Cette pratique part du postulat que le corps de la femme ne lui appartient pas. La société exerce un contrôle sur le corps féminin depuis des lustres. La femme a une pression énorme pour se conformer à un idéal de pureté. Aussi, une femme qui prend possession de son être est dérangeante. Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’être vulgaire et il est difficile d’ignorer que la frontière entre vulgarité et sexy est très mince. Néanmoins, il est injuste de punir une personne qui ne fait qu’exercer son droit de disposition sur son corps quand l’autre partie de la population n’est nullement inquiétée pour les mêmes faits de façon plus embêtante. Les hommes exposent leurs organes génitaux tous les jours dans la rue en urinant et personne ne dit rien. Le plus douloureux est que bien souvent, le slutshaming est utilisé pour justifier le viol. On blâme la victime en lui faisant comprendre qu’elle est la cause de son traumatisme. Cette assertion est tellement ancrée dans les cervelles que bien de femmes taisent cette expérience parce qu’elles craignent d’être mal vues par la société. On fait croire aux femmes que l’homme est un être bestial incapable de se contrôler et qu’il faut soi-même contrôler ses vêtements pour éviter d’être agressé. Pourtant, en Afrique, le corps de la femme était respecté, voir déifié. Les femmes se promenaient la poitrine à l’air, ce qui est encore le cas de certaines de nos mères dans les marchés pourtant personne ne les traitent de prostituées. La femme est privée de sa liberté et objectifiée. Et malheureusement, certaines femmes, s’érigeant en juges de vertu, sont les premières à dénigrer les autres femmes. Entre femmes, nous devrions nous entraider, fixer la couronne l’une de l’autre, nous défendre. Mais nous sommes tellement embrigadées dans la compétition malsaine que nous impose la société que sans nous en rendre compte, nous faisons du mal à nos sœurs. Il faudrait, pour les femmes revoir la manière de penser, se libérer des constructions sociales et être plus tolérantes les unes envers les autres, car nous vivons toutes les mêmes injustices. Et pour les hommes, il faudrait comprendre qu’une femme qui se met en valeur ne cherche pas nécessairement leur attention, mais assume son corps. Une femme, et tout être humain d’ailleurs mérite d’être respecté peu importe sa tenue. Aux femmes humiliées, rabaissées, victimes de viol, vous n’êtes pas seules, ce n’était pas de votre faute et n’ayez plus peur de dénoncer ces vils individus qui méritent d’être châtiés.