Faits de Société

Les blagues sexistes: plus de mal que de rire

« Pourquoi Dieu a-t-il donné un pénis
aux hommes ? Pour qu’ils aient au moins un moyen de faire taire les femmes. #DurexJoke». Cette blague publiée il y a quelques années sur le compte Twitter de Durex Afrique du sud a créé un vrai scandale. Quand on sait que ce pays recense les taux les plus élevés de viols et d’agressions sexuelles (110 viols par jour en 2019), on comprend pourquoi la blague a du mal à passer.

Q: Quand est ce qu’une femme peut te rendre millionnaire ? R: Quand tu es milliardaire

Au Rwanda, l’étiquette d’une bouteille de bière provoque un tollé sur les réseaux sociaux et l’indignation du gouvernement. La raison ? Des blagues sexistes joliment illustrées. La ministre de la Famille, Soline Nyirahabimana, répond au brasseur : « Dévaloriser ainsi les femmes n’est pas acceptable dans notre pays. Cela ne devrait être toléré nulle part dans le monde et être puni par la loi ». Celui-ci s’excuse et assure avoir cessé d’imprimer ces blagues sur les étiquettes de bière.

Des exemples comme ceux-là sont multiples et existent partout dans le monde. Ils se produisent tous les jours à petite ou grande échelle, sous différentes formes et dans divers contextes. Pour exemple, les fêtes de fin d’année donnent l’occasion de se retrouver autour d’une grande table avec toute la famille. Et avec ces moments les blagues lancées à la volée où la femme est dépeinte comme hystérique, en charge du ménage, ou bonne qu’à la cuisine.

Si jamais il arrivait aux femmes de répliquer, elles sont accueillies par les phrases fétiche de ces chers messieurs: « c’est juste une blague », « c’est pas pour être méchant, c’est juste pour rigoler », « tu n’as vraiment aucun humour ! » ou la favorite « on ne peut plus rire de rien ! »

Si en plus elles prônent “un peu trop” l’égalité des genres, elles ont droit à des remarques comme « les féministes là, arrêtez un peu votre chanson! », « le féminisme ce n’est pas pour l’Afrique » , « vous on ne vous envoie pas un peu à l’école hein! »

C’est un tableau pas très reluisant. Mais cherchons à comprendre le phénomène.

Quelques définitions

Une blague sexiste est une plaisanterie imprégnée de sexisme.

Selon Larousse, le sexisme est une attitude discriminatoire fondée sur le sexe. L’attitude, elle est définie comme un comportement qui correspond à une disposition psychologique. Ainsi, le sexisme est une correspondance entre des actes et des dispositions mentales, tous deux discriminatoires, se fondant sur le sexe.

De ces définitions, on voit clairement que cela va au delà d’une simple plaisanterie. Dans les faits, les femmes en sont les premières victimes. Selon une étude du HCE (Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes) réalisée en France, 99 % des femmes déclarent avoir déjà été victimes d’un acte ou commentaire sexiste et 54% avoir subi une blague ou une remarque à caractère sexuel.

Il s’agit donc d’un phénomène omniprésent, ancré dans les habitudes de tous les jours.

Quel est l’impact de ces blagues sexistes ?

L’humour sexiste, sous couvert d’une ambiance joyeuse, crée un environnement de dominant-dominé. Les femmes subissent ces blagues comme des micro agressions répétées. En effet, elles véhiculent et entretiennent les stéréotypes de sexe et des rôles sexués.

Pour illustrer, voici un exemple de blague: « Quel est le point commun entre une femme et une cigarette ? Tu la prends, tu la tires et tu la jettes. »

Dans cet exemple la femme est chosifiée, et réduite à un corps que l’on peut utiliser puis jeter. Elle est résumée à un objet sexuel qui n’a pour seule utilité que de satisfaire un homme, et une fois ce rôle joué, elle peut finir à la poubelle.

Outre leur corps, les autres sujets des blagues sur les femmes font état de leur manque d’intelligence, leur association aux tâches ménagères et à la cuisine, leur émotivité, leur hystérie, leur naïveté, leur stupidité, leur faible force physique…

En Afrique s’ajoutent le poids des traditions, de la culture et de la société. Par exemple on ne peut pas prétendre être une vraie femme africaine si on désire avoir une péridurale pour accoucher. C’est connu: « les vraies femmes africaines savent supporter la douleur » Ce genre de stéréotypes est très présent dans nos sociétés africaines.

Un tweet sur le mouvement #VraieFemmeAfricaine où les femmes africaines dénoncent leur vécu et leur stigmatisation par les traditions et cultures

L’humour sexiste insinue dans l’esprit de la petite fille qu’elle a moins de capacités qu’un garçon, qu’elle lui est inférieure par nature à cause de ses organes génitaux. Dans l’esprit du garçon, il est au dessus de la fille, il est plus intelligent et plus fort qu’elle. Tous deux grandissent avec des stéréotypes qui sont aiguisés au quotidien non seulement par les sempiternelles blagues sexistes, mais aussi par les publicités, les histoires et les discours sexistes largement présents dans toutes nos sociétés.

Il s’en suit une dépréciation de soi chez la fille, puis chez la femme qu’elle devient. Elle est dévalorisée et vit une souffrance psychologique minimisée. Chez les garçons, qui ont intériorisé ces croyances, peut se développer une haine de la femme, une telle banalisation de leur être que l’on aboutit aux phénomènes d’agression sexuelle et de meurtre. Après tout on leur a appris qu’ils étaient au dessus des femmes et que leur rôle était d’assouvir leurs désirs.

Vous trouverez peut-être que c’est poussé mais tel est la réalité aujourd’hui. Les blagues sexistes créent un environnement propice aux harcèlements sexuels et à la culture du viol sur le ton de la plaisanterie. La main sur les fesses ou les seins est vite arrivée, et par escalade de la pyramide du sexisme, on aboutit aux violences et agressions sexuelles, aux viols, aux meurtres et feminicides. Aujourd’hui, selon l’OMS, les violences faites aux femmes sont l’une des cinq premières causes de mortalité des femmes dans le monde. Non, ce n’est pas « qu’une blague ». Ça va bien plus loin que ça. Ça peut tuer.

Qu’est ce qu’on peut faire ?

Face à une menace aussi sournoise, que convient-il de faire?

Déjà on peut commencer par reconnaître que le sexisme est une idéologie de domination qui est bien présente dans toutes nos sociétés. Ensuite, une fois qu’on en a bien pris conscience, on peut essayer, chacun à son niveau de mettre en pratique l’égalité entre les deux sexes.

Cela passe par exemple par :

  • arrêter de rire et/ou de partager ces blagues qui font plus de mal que de bien;
  • apprendre au petit garçon qu’il peut tout aussi bien faire la cuisine et les tâches ménagères que les petites filles;
  • apprendre à la petite fille qu’elle peut aussi bien exceller à l’école qu’un garçon et qu’elle peut rêver de métiers scientifiques si ça la passionne;
  • cesser de juger une femme sur son physique. Non, le fait qu’elle porte une jupe moulante ne veut pas dire qu’elle a des mœurs légères;
  • pour les femmes, s’intéresser un peu plus aux questions du genre car elles seront les principales bénéficiaires de la résolution de ces problèmes.

Il faudrait à long terme arriver à créer une société où une femme serait libre de choisir de s’occuper uniquement de son foyer si elle le désire. Qu’elle ait la possibilité de se consacrer exclusivement à sa carrière ou à mêler les deux si tel est son souhait. Que ce monde soit plus juste et ne la réduise pas à un être inférieur et dominé. Et pour y arriver, chacun-e a sa partition à jouer.

Agoododjiè !

3 réflexions au sujet de “Les blagues sexistes: plus de mal que de rire”

  1. Thématique bien choisie et sujet très intéressant et bien développé !
    La responsabilité de tous y est engagée!
    J’adhère pleinement à vos solutions.
    A court terme, il faut davantage utiliser les médias sociaux pour dénoncer le phénomène.
    L’une des réelles solutions à long terme est vraiment de faire ancrer dans le cœur des enfants que la femme est autant importante que l’homme. Chaque homme devrait traiter une femme comme il aimerait qu’un autre homme traite sa fille. Et chaque fille a un plein potentiel que le monde devrait lui permettre de révéler.

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