Première femme avocate de son pays la Mauritanie, Maitre Fatimata M’baye est une icône de la lutte contre la violation des droits de l’homme, et des violences faites aux femmes et aux enfants. Farouche et tenace, elle a dédié sa vie à défendre les « sans droits » et les « sans voix », parfois en se mettant en danger. À l’occasion de ce mois de mars où nous célébrerons la journée internationale des droits des femmes, allons à la découverte de cette pionnière des luttes pour les femmes et pour les Noirs en Afrique.
Une enfance volée : point de départ de son combat
Fatimata M’baye naît vers 1957 en Mauritanie dans une famille mi-conservatrice mi-moderne. Son enfance est brisée par les affres des traditions du mariage forcé et de l’excision. En effet, à l’âge de 12 ans, elle est mariée à un homme de 45 ans par une union décidée entre cousins bien avant sa naissance. Violée à répétition, elle devint mère de 3 enfants à 14, 16 et 18 ans. Fougueuse et farouchement opposée à cette union, elle multiplie « les bagarres, les fugues et les crises » selon ses propres termes. « Ma révolte a commencé là » dit-elle. Elle trouve un soutien dans sa famille qui l’aide finalement à divorcer. À 18 ans, elle obtient sa première grande victoire : le divorce avec son mari et l’obtention de son baccalauréat le même jour.
Elle décide de continuer sa révolte en devenant avocate, estimant que le meilleur moyen de défendre ses droits et celui des femmes est de devenir elle-même experte en droits. C’est une première en Mauritanie. Elle fait ses études de droit de 1981 à 1985 à l’université de Nouakchott et devient la première femme mauritanienne à s’inscrire au barreau. Dans une société patriarcale dominée par l’élite arabo-berbère blanche, où la liberté des droits et de parole est bafouée, c’est une autre grande victoire pour cette femme noire, musulmane et peule.
Un chemin semé d’embûches
Elle exerce d’abord comme avocate généraliste puis se spécialise dans les droits des enfants puis des femmes. Unique femme dans un monde d’hommes souvent misogynes et machos, elle doit se battre pour forcer l’écoute, l’attention et le respect. Mais elle sut très bien se faire entendre, car jusqu’en 2016, elle est la seule femme à plaider dans un tribunal. Ceci, même après avoir ouvert la voie à d’autres avocates.
Engagée depuis toujours, elle participe en 1986 à la rédaction du « Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé », adressé aux chefs d’État africains lors de la conférence des non-alignés, au Zimbabwe. Celui-ci dénonce la politique de la discrimination raciale et culturelle, et la politique d’exclusion ethnique dont leur Communauté noire (Bambara, Fulbe, Sooninko et Wolof) fait l’objet depuis l’indépendance de la Mauritanie en 1960. Cela ne plaît pas et lui vaut un séjour en prison sur ordre du président mauritanien.
Réduite au silence et torturée avec ses compères, elle refuse pourtant d’abandonner son combat. Sa lutte contre l’esclavage traditionnel qui sévit toujours en Mauritanie, et contre la violation des droits des mauritaniens lui vaut deux autres séjours carcéraux en 1991 et 1998. Loin d’être brisée, elle en sort encore plus déterminée à se battre pour les opprimés. La condition des détenus et le soutien aux démunis qui ne peuvent pas se défendre s’ajoutent aux maux qu’elle porte à bout de bras.
Une vie de lutte acharnée
En 1991, elle fonde l’Association mauritanienne des droits de l’homme, dont elle devient présidente. Cette association fait partie de la Fédération Internationale des Droits de l’homme (FIDH) dont elle devient vice-présidente à deux reprises.
Par son association, elle lutte contre la violation fondamentale des droits de l’homme que constitue l’esclavage traditionnel en Mauritanie. En effet, 20% environ de la population est asservie. Les Haratins, une ethnie noire africaine, servent d’esclaves aux Maures Blancs, la minorité arabo-berbère qui a toujours détenu le pouvoir dans le pays. « Il faut que ça change. On est au 21ème siècle. C’est inacceptable qu’il y ait encore des hommes et des femmes, qui sont des propriétés d’autres hommes, comme une voiture ou une maison, etc » déclare t-elle.
Rescapée elle-même d’abus, elle lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes et aux enfants. Ces dernières sont physiques: mariage forcé, viols, violences conjugales, mutilations génitales sur les petites filles, « zina » (immoralité sexuelle dont sont souvent accusées les femmes qui portent plainte pour viol), etc. Elles sont morales: poids de la culture, pression sociale, inaccessibilité d’emplois aux femmes, faible éducation des filles et des femmes qui sont censées « rester à la maison », etc.
Spécialisée dans le droit des enfants et des femmes, elle défend cette tranche de la population souvent incomprise et accablée par la société patriarcale et féodale. Et elle le fait gratuitement s’il le faut. Elle milite pour l’application du quota de 20% de femmes au moins dans tous les secteurs, en particulier au sein des instances décisionnelles.
Elle a obtenu la première condamnation pour l’exploitation des enfants, le premier acte d’accusation pour l’esclavage et la première peine de prison appliquée en vertu de la loi anti-esclavage de 2007.
Une reconnaissance internationale
Sa vie de lutte pour les opprimés, les faibles et les démunis, son combat pour l’égalité et la justice ont fait de Fatimata Mbaye une femme reconnue et respectée dans le monde. En 2015, elle fait partie du « Top 50, des femmes les plus puissantes d’Afrique », selon l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique.
En 1999 elle devient la première Africaine à remporter le prix international des droits de l’homme de Nuremberg. En 2012, elle reçoit le prix Traffcking in persons report, délivré par le département d’État des États-Unis, qui récompense les personnes luttant contre le trafic des êtres humains, des mains de Hillary Clinton.
En 2015 elle reçoit la médaille d’or de la ville de Grenoble en France, et en 2016 le prix Femme de courage en Mauritanie. Il rend hommage aux femmes du monde entier qui ont fait preuve de courage et de leadership exceptionnels dans La Défense des droits de l’homme. Elle remporte également le prix Goralska.
Une vision pour l’avenir
Fatimata Mbaye est une femme de courage. Pour elle, la lutte doit se faire tant que les droits de l’homme seront bafoués. Elle rêve d’« imposer une loi internationale pour faire respecter les droits des femmes, qui puisse être appliquée à tout moment et dans toutes les sociétés ». Elle reconnaît qu’elle a réussi à changer un peu les mentalités, mais elle n’aura de cesse d’utiliser ses mots, sa voix et ses actions pour atteindre son objectif. Car « la dignité est universelle et appartient à tout être humain » clame t-elle.
« J’aimerais qu’on restitue à la femme toute sa dignité, qu’elle ne soit plus objet de discriminations, de violences. Que l’on accepte qu’elle a une capacité qui lui permet de travailler correctement, de devenir une femme intègre, de servir son pays, sa famille et sa communauté. Qu’elle vive dans une société égalitaire et juste. »
Féministe née, brillante, déterminée et persévérante, Maître Fatimata M’baye a prouvé sa valeur en défendant ses convictions tout au long de sa vie, prenant le parti des opprimés, des « sans voix » et des « sans droits ». Elle est une femme exceptionnelle qui a su tirer une force incroyable de ses épreuves personnelles, pour être reconnue dans le monde entier. Elle force notre admiration et notre respect. C’est notre femme badass du mois de mars.
Agoodojie!