Faits de Société

Féminisme : lorsque le mouvement va à la dérive


Le but premier du féminisme, l’essence même de ce combat que des millions d’hommes et de femmes mènent chaque jour, quel est-il ? À cette question, vous me répondrez sûrement avec assurance et verve que l’objectif du féminisme est d’abolir les inégalités dont sont victimes les femmes ou encore de promouvoir les droits et intérêts des femmes dans la société civile.
Mais, et si je vous demandais pourquoi en ses siècles d’existence, l’idéologie féministe n’a-t-elle pas pu concrétiser entièrement ce but, que me diriez-vous ? À ce moment-là, votre réponse sera assurément un peu plus hachée, vous prendrez le temps de réfléchir sans trop vraiment savoir quoi me servir.
La réponse que vous aurez — et que même moi d’ailleurs — du mal à trouver est pourtant simple : les dérives du féminisme. Tel sera donc le thème de ce nouveau billet de la catégorie Fait de société.
Disclaimer: loin de décrédibiliser toutes les luttes menées dans le cadre du mouvement féministe, ce billet de blog a pour but de mettre en lumière ses insuffisances dans un espoir d’amélioration.

Le manque d’unicité dans les actions



Comme toute idéologie, le féminisme est un peu interprété par chacun avec les moyens dont il dispose. Cet état de choses est sûrement l’une des raisons pour lesquelles, sur le continent africain, on compte aujourd’hui pas moins de cinq courants féministes principaux différents.
Bien que les buts soient les mêmes pour pratiquement les mêmes dans chacun des courants féministes, on ne peut pas en dire autant des méthodes employées. Les méthodes de revendications employées dans le négo-féminisme ne seront pas forcément les mêmes que celles utilisées par le stiwanisme par exemple.
D’une certaine façon, cette pluralité d’instruments peut être perçue comme une manière d’atteindre plus efficacement l’objectif final. Cependant, un problème se pose, le trop grand nombre de signaux envoyés à tendance à pousser à confusion, mais surtout de donner un aspect trop complexe et alambiqué à la chose.
Au contraire, si toutes les forces étaient unies sous une seule et même bannière, la voix du féminisme porterait inévitablement plus haut.

L’imposition indirecte de certaines normes


Visage lisse et juvénile, taille de guêpe, voix fine et peau épilée au millimètre, que vous évoquent ces caractéristiques physiques ? Si vous avez répondu des critères de beauté imposés par la société patriarcale, vous n’avez pas tort, mais êtes sûrement concerné.e par ce point.
Le féminisme a longtemps œuvré pour la déconstruction de certains critères de beauté et de comportements considérés comme être un diktat du patriarcat. Toutefois, en cherchant à le faire, il a lui-même créé de façon indirecte des critères proféminismes, si je puis le dire ainsi.

Le fait que je sois féminine ne signifie pas que je ne suis pas féministe


De cette manière, certaines femmes peuvent être perçues comme moins feminism like (conforme au féminisme) que d’autres.
En tant qu’idéologie, le féminisme se veut libérateur de la femme, pourquoi donc se créer des barrières en rejetant certaines caractéristiques ? Du moment qu’elle agit dans le sens du mouvement, une femme aussi conforme aux critères classiques soit-elle, elle reste envers et contre tout, une camarade de lutte.

Malala Yousafzai, féministe musulmane voilée


Les femmes voilées, les femmes au foyer ou encore les femmes mariées sous régime polygamique, tant qu’elles œuvrent pour la lutte, sont et ne demeurent pas moins que de véritables féministes. L’essentiel se passe dans le comportement et surtout dans les idées donc si vous aimez les aisselles épilées, épilez-les, ça ne fera pas de vous un alien dans la sphère féministe.

L’image toxique de la Wonder Woman


Au début de mon aventure dans la vie en tant que féministe, j’ai longtemps cru (à tort) qu’en tant qu’activiste, je me devais de rester forte, à tout instant et en toute circonstance. J’avais une pression sur mes épaules qui me faisaient penser que je pouvais et devais tout avoir et tout acquérir à force de dévouement : carrière, études brillantes, relations sociales, etc.
Pourtant, soyons honnêtes, agir et penser de la sorte est purement toxique, que l’on soit homme ou femme, activiste féministe ou pas. Si moi, ma rencontre avec les femmes magnifiques de l’équipe Agoodojie (que je remercie infiniment) est survenue comme une main tendue pour me rattraper, toutes les femmes féministes n’ont pas une telle chance.

Tu peux tout avoir, tu ne peux juste pas tout avoir en même temps


Elles sont donc encore nombreuses à se battre avec acharnement jour et nuit pour correspondre à la femme moderne 3.0 qui est malheureusement pris en modèle dans le mouvement. La situation contribue en conséquence à créer une charge mentale qui peut avoir des conséquences assez graves : dépression, anxiété, syndrome de l’imposteur, burn out, etc.

En résumé, le féminisme a ses insuffisances et savoir les identifier pour les corriger au fur et à mesure est indispensable pour que la lutte avance plus efficacement. Alors, et vous, que feriez-vous pour apporter des solutions à ces problématiques ? Nous avons hâte de vous lire dans les commentaires de ce billet.

1 réflexion au sujet de “Féminisme : lorsque le mouvement va à la dérive”

  1. Vu que l’article est accompagné d’un disclaimer, permettez d’y apporter un droit de réponse.

    Titre intéressant tout comme l’article. Mais si le féminisme n’a pas mis fin au sexisme systémique ce n’est pas tant à cause de ses dérives que parce qu’il est difficile pour les dominants d’abandonner leurs privilèges. N’oublions pas si on regarde d’autres discriminations que la traite négrière a mis 4 siècles à être aboli, et qu’on n’en a pas encore fini avec le racisme. Ce serait à cause des dérives du racisme. Attention au biais d’homme de paille qui fait pointer du doigt un coupable qu’on s’empresse aussitôt de démonter…

    Je trouve en effet curieux de s’en prendre à l’opprimé pour lui expliquer que c’est de sa faute si ces actions n’ont pas l’effet attendu, sans se demander comment la domination s’entretient ou comment les dominants s’y prennent 1) pour justifier leur domination, 2) pour l’entretenir.

    Probablement que si vous aviez posé la question de votre premier paragraphe à des activistes de longue haleine, à des sociologues ou encore à des historiennes, vous auriez eu des réponses non seulement sans bafouillis, mais également étayées et appuyées.

    Sur votre premier point, je pense qu’il faut faire la différence entre les multiples activistes sur les RS/blog, les associations de féministes ou de droits des femmes, et les réseaux régionaux. Est-ce que sur les RS il y a une multitude d’activités éclatées ? Très clairement, oui. Est-ce que sur ces mêmes réseaux certaines sont plus en recherche d’une gloire personnelle ? Oui également. Est-ce que plusieurs d’entre elles surfent sur du sensationnel qui ne débouche sur rien de de concret au final ? Oui très souvent. Est-ce que, enfin ces femmes (nous y compris) mériteraient de plus se parler, de plus coopérer ? Oui aussi. Mais que leurs actions soient éclatées, isolées, individuelles n’enlèvent rien à l’effet d’éducation populaire dans leurs cercles d’abonné-e-s respectifs ? Et ça c’est une grande victoire. En matière des droits des femmes, c’est la bataille de l’opinion qu’il faut gagner, et ces activistes isolées y participent triomphalement. De plus, peut-être qu’elles n’ont pas le temps à consacrer à une action concertée ? Peut-être qu’elles n’en ont pas le charisme (le travail d’équipe ce n’est pas pour tout le monde) ? Ou tout simplement qu’elles n’en sont pas encore là dans leur engagement (rare sont celles qui commencent directement dans une asso) ? Pourquoi juger leur manière à elle de saisir de la problématique féministe ? Que chacune investisse ce qui lui parle, avec sa force, ses moyens, son temps. Et reconnaissons les unes les autres les apports de l’investissement de chacune et de toutes…

    Ensuite, Il existe de nombreuses associations de terrain pas toujours sur les réseaux et qui essaient d’agir au plus concret de la vie des femmes. Enfin des réseaux commencent à se formaliser aux niveaux nationaux et régionaux (je pense aux féministes d’Afrique de l’Ouest, ou encore aux féministes d’Afrique centrale). Si on recherche vraiment une action coordonnée rien n’empêche d’approcher et de relayer ces réseaux. Sans compter qu’à l’époque de nos mères, des réseaux existaient aussi, mais il faut dire que le patriarcat a été bien plus brutal avec nos anciennes qu’avec nous, ces réseaux se sont épuisés à force de combats, à force de besoin de ressources. Très peu ont survécu. Non pas par dérive, mais par répression de la domination masculine, et par manque d’effort de notre part d’aller à la rencontre de notre passé. Confortable en effet de penser que nous sommes les premiers à dépoussiérer tel ou tel sujet…

    Et quant aux moyens employés, quant aux thèmes plébiscités, ils sont nombreux oui, protéiformes. Et heureusement ! Les femmes sont plurielles. Nos injonctions et assignations aussi, à notre grand malheur. Selon, notre nationalité, notre région d’appartenance, notre pratique religieuse, notre société n’attend pas les mêmes choses de nous. Un moyen d’expression peut être jugé subversif dans une culture et complètement dérisoire dans une autre. Pas besoin donc de parler d’une même voix (j’en parlais déjà dans un autre article https://feminineafrique.wordpress.com/2021/07/20/est-ce-que-les-femmes-doivent-parler-dune-meme-voix-sororite-feminismeafricain-afrofeminisme-feminisme/). Contre-productif même. Ce qui compte à mon sens c’est de défendre notre capacité à décider pour nous en connaissance de cause. Et nous tenir au côté de toutes celles qui veulent choisir en toutes liberté pour elles-mêmes, quel que soit ce choix. Vouloir une bannière unique c’est plébiscité les choix des unes par rapport à ceux des autres. C’est déjà ce que le patriarcat et l’impérialisme font. On est vraiment obligé de les imiter ?

    Mais je parle bien de choix pris en toute liberté et en connaissance de cause. Il ne s’agit pas non plus de soutenir pour soutenir ou de soutenir sans oublier que d’autres vivent certaines conditions par oppression ou pour cause de conditions matérielles d’existence qui ne leur laissent pas tellement le choix. Si vous arrivez à me suivre, je n’ai donc aucune difficulté avec les femmes voilées, les femmes au foyer ou les femmes mariées sous régime polygamique, les femmes épilées, les femmes maquillées, les femmes prostituées tant que ces choix sont faits en liberté réelle (notamment économique) et en connaissance de cause.

    Quant au point sur la wonder woman, elle ne vient pas tant du féminisme que du patriarcat. C’est le féminisme qui théorise le concept de charge mentale ou encore de charge émotionnelle. C’est le féminisme qui dit aux femmes de lâcher-prise. C’est le féminisme qui dit aux femmes de se faire accompagner. C’est un vrai contre-sens de l’accuser d’être à l’origine de la figure de la femme forte. Et si des femmes d’exception ont souvent été mis en avant, c’est plus pour inspirer des armées de jeunes femmes, pour leur montrer que leur destin n’est genré, que pour les complexer.

    Je suis un peu surprise par cet article parce que je trouve qu’il est empreint de male gaze. Est-ce que le mouvement a des insuffisances ? Probablement. Mais je n’aurais pas qualifié ça de dérives. Bon courage à vous en cette nouvelle année

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