Faits de Société

Le phénomène “Nappy”: l’histoire derrière la mode

Le mot Nappy n’est plus à présenter pour beaucoup. Utilisé à tort et à travers, il est associé à l’engouement de plus en plus important pour les cheveux crépus. Découvrons un peu l’histoire derrière ce phénomène des temps modernes.

Nappy: de quoi s’agit-il ?

En anglais américain, le mot « nappy » signifie « crépu ». Ce terme a une certaine connotation négative. Un terme plus neutre pour traduire le terme crépu est « frizzy ».

Le cheveu naturel africain a fait l’objet de dénigrements depuis la traite négrière. Des Afro-descendantes se sont alors positivement réapproprié le mot nappy. Il est considéré dans les pays francophones comme un acronyme formé de « natural » et de « happy »

Le mouvement nappy est la dénomination francophone du natural hair movement né aux États-Unis dans les années 2000. Ce mouvement désigne des femmes noires souhaitant conserver leurs cheveux crépus. Ces femmes, appelées nappy girls ou nappies, abandonnent le défrisage et laissent pousser leurs cheveux au naturel.

Un peu d’histoire

Avant l’esclavage

Les cheveux ont joué une fonction culturelle majeure dans les sociétés africaines précoloniales.

Les coiffures étaient utilisées pour communiquer des informations telles que le rang social, la religion, la richesse, l’identité ethnique. Certaines marquaient les différentes étapes de la vie: la naissance, l’initiation, le mariage et le deuil. Il y avait également des coiffures distinctes qui indiquaient la royauté.

Seuls les fous et les personnes endeuillées ne s’occupaient pas de leurs cheveux.

Les africains disposaient alors de toutes les ressources de la terre pour leurs soins capillaires. Il s’agissait des différentes huiles et beurres, et du fameux peigne africain à dents larges.

L’esclavage et ses ravages

L’arrivée des colons perturbe l’équilibre des sociétés africaines. Les africains étaient saisis de leur terre, séparés de leur famille et n’avaient qu’un but: lutter pour défendre leur vie. On comprend aisément qu’ils n’aient pas pensé à prendre leurs outils et produits de soins capillaires.

Durant la traversée qui durait de longs mois, ils étaient dans des conditions d’hygiène misérables. Puis à l’arrivée sur les terres des colons, ils étaient systématiquement rasés: première étape du processus d’effacement culturel et identitaire.

Dans les plantations, les esclaves travaillaient à épuisement. Peu de temps leur était accordé pour leurs soins personnels. Les femmes couvraient souvent leur tête de chiffons pour cacher leurs cheveux défaits, ou les désagréments comme les poux et la teigne. Celles qui travaillaient à l’intérieur des maisons, avaient plus de temps et arboraient alors des nattes.

Lorsque vers les années 1800, les bateaux négriers cessèrent de venir en Afrique, les esclaves commencèrent à être mieux traités; car plus rares. Ils avaient plus de temps pour s’occuper de leurs cheveux. Mais les choses ne sont pas redevenues comme en Afrique.

D’une part, rappelez-vous, les outils avaient été laissés sur le continent. Les femmes devaient donc se débrouiller avec ce qu’elles avaient. Il s’agissait de beurre, de graisse de bacon, et d’autres graisses animales, de kérosène… Les fourchettes de table étaient parfois détournés en peigne.

D’autre part, l’esclavage a créé l’idée d’une hiérarchisation des couleurs et des cheveux. Ainsi, la peau blanche était associée à la beauté et à la propreté, et la peau noire à la saleté et à la laideur. Les cheveux lisses de type caucasien étaient les « bons cheveux », car proches de ceux du maître, et ceux crépus de type africain étaient les « mauvais cheveux », car durs, secs, laids… des cheveux d’esclave.

Enfin la liberté… ou pas

Après l’abolition de l’esclavage, l’idée du “bon cheveu” s’est encore plus renforcée. Avoir des cheveux lisses et la peau claire augmentaient les chances d’avoir accès à l’éducation, à un travail. De plus, c’était un signe de classe. La plupart des classes supérieures et moyennes noires étaient métissées. Il fallait donc tout faire pour avoir les “bons cheveux”.

C’est ainsi que commence l’ère du défrisage, qui n’épargne personne, y compris les hommes. Madame C. J Walker commercialise la première marque de défrisant, ainsi que des produits de soins capillaires pour les Noirs. D’autres outils tels que le fer à lisser, le peigne chauffant, et plus tard dans les années 1960 les défrisants chimiques, facilitent la transformation des cheveux crépus en cheveux lisses par les Noirs.

Plusieurs styles se sont succédés, avec pour seul but, modifier la texture du cheveu crépu.

Le Jheri Curl

Il était clairement question d’une haine de soi, et d’un auto effacement de son identité. Plusieurs hommes politiques, et d’églises essayèrent de lutter en vain contre ce phénomène.

Vers les années 1960, l’Afro commençait à faire son apparition. Nina Simone, et Myriam Makeba, furent les premières à le porter. Plus tard les dirigeant du mouvement Black Panther, en l’arborant, lui donnèrent une signification plus politique. « Je suis fier d’être noir, pas nègre ou homme de couleur, mais noir, et noir n’est pas une mauvaise copie de blanc ».

Angela Davis portant l’afro

Lorsque les Jackson five le portèrent, il perdit sa signification politique et devint une mode, qui finit par tomber en désuétude. Il faut noter que la plupart des coupes Afro à cette ère n’étaient pas naturelles car le défrisage restait la norme.

Les Jackson Five

Et aujourd’hui ?

L’industrie capillaire des cheveux des Noirs pèse des milliards. il concerne tant les défrisants que les extensions, les perruques, les mèches, les rajouts, les tissages, les fers à lisser, les fers à boucler, les produits d’entretien… la femme noire moderne a tout un éventail de possibilités pour « discipliner » ou « cacher » ses cheveux.

Pourtant le mouvement Nappy, a eu un essor incroyable aux États Unis, puis en France et maintenant en Afrique. Ceci pourrait s’expliquer par plusieurs faits.

– Les afro descendantes cherchent à renouer avec leur histoire, leur culture et à retrouver leur identité africaine

– Les Noires refusent de continuer à subir les diktats occidentaux et commencent à s’accepter avec leur beauté au naturel.

– La prise de conscience des effets nocifs des défrisants sur les cheveux, le cuir chevelu et la santé: démangeaisons, plaques rouges, brûlures, casse du cheveu, alopécie (perte de cheveux), cancers, perturbation du système hormonal,etc.

-La création de nombreuses marques de produits capillaires pour l’entretien des cheveux crépus

– L’existence des médias et outils pour s’informer et faciliter le retour aux cheveux naturels.

– Le port des cheveux crépus naturels par de nombreuses stars du cinéma et de la musique. Ce qui alimente la tendance. Beaucoup d’actrices américaines font leur retour au naturel et se montrent sur les tapis rouges avec leur teint noir ébène et leurs cheveux crépus. Que ce soit au cinéma, dans les magazines, ou les soirées, elles arborent fièrement leur crinière; qu’elle soit petite ou volumineuse et ça fait plaisir aux yeux.

– Les chansons qui encouragent et portent haut la beauté naturelle des femmes noires. (Brown Skin girl, Formation de Beyoncé par exemples)

– La création un peu partout dans le monde de concours de beauté dédiés aux femmes noires portant leurs cheveux au naturel: États Unis, France, Angleterre, Bénin, Côte d’Ivoire… qui apportent de la fraîcheur au monde des concours de beauté.

Candidates Miss Crépue Bénin édition 2019

Être Nappy, ou Naturelle est un acte qui au delà d’un simple mode de coiffure, envoie un message. « J’embrasse mon identité, ma culture et mon essence africaine. j’apprends à renouer avec l’art ancestral des soins capillaires et je m’accepte telle que je suis au naturel. »

Angela Davis

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