Dossier Spécial Féminisme, Faits de Société

Violences : pourquoi les victimes se taisent ou se rétractent ?

« … Elle avait continué à excuser ses conduites violentes même après la rupture au motif qu’il avait souffert dans son enfance- comme elle, pouvons-nous ajouter. »

Marie-José Grihom, Pourquoi le silence des femmes ? Violence sexuelle et lien de couple, dans Dialogue 2015/2, n°208, p71 à 84)

Il est très courant que les femmes victimes de violences gardent le silence ou se rétractent en cours de procédure après avoir dénoncé. Même si la rétractation n’annule pas la procédure pénale (puisque le procureur a l’opportunité des poursuites), il faut s’interroger sur les raisons de celle-ci. Pourquoi ce phénomène perdure-t’il alors que pratiquement tous les pays du monde font un effort quotidien sur les plans législatif et institutionnel pour stopper, voire limiter les violences faites aux femmes?
Les raisons sont multiples et de divers ordres.

Des violences plus que présentes


Dans les arsenaux juridiques et institutionnels, de plus en plus d’efforts sont faits pour l’égalité des genres et la protection de la femme et de la fille. On pourrait se réjouir du fait que les cas de dénonciation de violence sont faibles. Cela pourrait laisser penser que les États ont mis en place des mécanismes de protection législatifs et institutionnels performants et efficaces.

Mais nous ferions mieux de ne pas nous voiler la face, car les statistiques en matière de violences faites aux femmes nous disent tout le contraire. Selon ‘’Médecins du Monde’’, au Bénin par exemple, 69% de Béninoises ont subi des violences au moins une fois dans leur vie, pourtant le taux de cas déférés à la justice reste faible.

En France, les statistiques de l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en 2000 révèlent un écart important entre les violences subies et les violences déclarées.


Ainsi, on note clairement un silence chez les victimes malgré tout l’arsenal mis en place pour les protéger. Mais quelles sont les raisons de ce silence ?

Des raisons diverses

Les raisons de ce silence sont de plusieurs ordres. Elles peuvent varier de l’éducation ou de l’enfance de la victime, du contexte socioculturel ou encore des failles du système de protection ou de justice. Ces raisons, qui ne sont pas comme certains pourraient le penser du masochisme ou de plaisir (même si certaines victimes peuvent avoir le syndrome de Stockholm et ainsi tomber amoureuses de leurs bourreaux.), nous donnent matière à réfléchir sur la façon dont nous pouvons réellement épauler ces victimes.


Une enfance marquée par la violence !


L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France en 2000 montre un lien entre le fait d’avoir subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance et le fait de vivre avec un partenaire violent.

Ainsi, beaucoup de femmes ayant subi des violences dans leur enfance peuvent trouver normal le fait que leurs partenaires soient violents. Elles subissent donc, trouvant à la limite cet état de chose normal.
Nous devons ainsi mieux penser l’éducation de nos enfants dans un contexte socioculturel où le châtiment corporel est le moyen par excellence pour éduquer les enfants. Priorisons le dialogue parent-enfant !

Une priorité donnée aux enfants !

Puisque nous parlions de contexte socioculturel éducationnel, parlons du fameux ‘’ je ne veux pas priver mes enfants de leur père’’. Si on peut penser que cette phrase est propre aux femmes africaines, cela est très loin de la réalité. Toutes les femmes lorsqu’il y a la présence d’enfants réfléchissent à deux fois avant de quitter ou de dénoncer un partenaire violent.

Pour la plupart, elles ont vécu l’absence d’un parent ou la séparation de leurs propres parents. Que ce soit le cas ou pas, les femmes idéalisent le fait que l’enfant grandisse avec les deux parents (c’est sûr que c’est ce que l’on souhaite) mais il faut savoir préserver sa vie, toujours au nom du bien-être de ces enfants.

Certaines vont jusqu’à se fixer un seuil ou une ‘’deadline’’ pour continuer à supporter les violences dont elles sont victimes. Vous entendrez certaines dire « dès que mon enfant obtient son diplôme, je partirai ». Dans bien souvent des cas, malheureusement, c’est du ciel qu’elles arrivent à voir cet enfant obtenir ce diplôme.
Mesdames, ce n’est aucunement égoïste de sauver sa vie. Vos enfants ont bien plus besoin de vous en vie.

Le manque d’autonomie financière


Cette raison est tellement courante ! Ces femmes, en réalité, n’ont pas une source de revenus et dépendent entièrement de leurs partenaires pour tout. La cause en est bien souvent une exigence ou une interdiction de la part du partenaire, soit dès le mariage célébré ou à la naissance du premier enfant (il s’agit donc d’une violence économique ou financière).

Mais encore, on peut tout simplement être en face d’une femme qui n’avait pas vraiment d’aptitudes professionnelles et qui n’avait que des emplois précaires jusqu’à ce qu’elle tombe sur son partenaire qui prend tout en charge.(les hommes le savent, les femmes aiment le confort matériel que peut leur apporter un homme et l’éducation de base est la cause de cet état de chose.)

Dans ce contexte, elles se demandent bien des fois « mais où vais-je aller et comment vais-je m’en sortir si je pars ? » ou encore « qu’est-ce que mes enfants vont devenir puisque je n’ai pas les moyens de les scolariser ? ».

Dans d’autres cas, nous constatons que même des femmes qui travaillent et qui ont une certaine autonomie financière, ne partent pas lorsqu’elles sont victimes de violence à cause des choses dont l’homme a quand même la charge et qui les soulagent assez. Le couple vit généralement dans une maison achetée ou dont le loyer est payé par le partenaire.
Mesdames, croyez en vous ! Partez quand il y a violence ! Vous pouvez bien plus que vous ne le pensez.

Le contexte socioculturel (le regard de la société)


La femme a toujours été considérée comme ayant sa place dans un foyer et il est très difficile pour la société encore de nos jours de la voir divorcer ou quitter son partenaire. Elle est la seule responsable aux yeux de la société, car elle est censée être une ‘’bonne femme’’ pour son homme.

Si un divorce a lieu, cela signifie qu’elle n’a pas su jouer son rôle de ‘’femme tendre, douce et aimante qui pardonne tout et qui fait toujours preuve de patience’’. Celle-là qui pourra au soir de sa vie brandir comme trophée le fait qu’elle soit restée malgré tout.

Sauf que la violence la conduit souvent très précocement à la tombe. D’aucuns l’accuseront même des coups qu’elle reçoit de son partenaire : ‘’ elle répond surement à tout’’, elle doit être invivable’’.
Mesdames, à vos funérailles les mêmes diront que vous avez été connes.

Dépendance affective, culpabilité et isolement


Ces raisons sont mises ensemble parce qu’elles sont très souvent liées. Eh oui ! La femme aime très rarement à moitié et très vite avant de s’en rendre compte, elle tombe dans la dépendance affective. Elle aime à tel point qu’elle ne voit pas sa vie sans son partenaire.

Du coup, elle essaie de comprendre tous les comportements de son partenaire, y compris la violence. Vous entendrez souvent : ‘’il a eu une enfance difficile’’ ou encore ‘’la vie ne lui a souvent pas fait de cadeau’’ ou encore ‘’il a un bon fond en vrai’’. C’est là qu’intervient la culpabilité. Puisqu’elle comprend le comportement violent de son partenaire, elle va se sentir responsable des coups qu’elle reçoit de ce dernier, car ne faisant pas ce qu’il faut pour lui rendre la vie plus facile : ‘’ je n’aurais pas dû répondre’’, je n’aurais pas dû le contredire’’, ‘’c’est un peu ma faute’’,’’ je l’ai provoqué’’.

La dépendance affective va déboucher sur la culpabilité qui va ensuite entrainer l’isolement.
Oui, mesdames, puisqu’elle se sent responsable des coups qu’elle reçoit, pourquoi s’en plaindre ? Ce serait exposer aussi ses tares et ses torts.

Dans le cas où les parents étaient contre cette relation, les femmes se retrouvent donc dans l’incapacité de leur en parler, car elles sont dans la logique de leur prouver qu’ils avaient tort. Elles s’isolent totalement de ce fait. Les problèmes conjugaux se règlent à deux dit-on.
Mesdames, rien, absolument rien ne peut justifier une gifle.


Jetons un œil au mécanisme de prise en charge parce que bien souvent, c’est le système même qui effraie les femmes.

Les failles dans le mécanisme (judiciaire, sanitaire) de prise en charge des victimes

Le manque d’information

Il existe, nous l’avons dit plus haut, un effort considérable de la part des États pour la prise en charge des victimes, que ce soit sur les plans juridique, judiciaire ou sanitaire. Mais il faut reconnaitre que les femmes ne sont pas toujours informées ou sont sous informées en la matière.

Une victime de viol aura pour réflexe de prendre une douche alors qu’en le faisant elle nettoie des preuves sans en être consciente. De même, elles ignorent aussi qu’elles peuvent dénoncer une violence psychologique.

Cela peut paraître étrange, mais les violences psychologiques sont tout aussi graves que celles physiques. (Il n’y a pas de petite violence mesdames.) D’un autre côté, il y a celles qui sont conscientes de la violation de leurs droits, mais ignorent les procédures en la matière.
Les sensibilisations doivent donc continuer.

Structures de prise en charge insuffisantes et personnel incompétent


Même si certaines n’ont pas les bonnes informations, d’autres rencontrent des problèmes au cours et pendant toute la procédure. Ces problèmes sont liés notamment à la lenteur des procédures judiciaires, au coût des procédures, au manque de structure en charge de la prise en charge et aussi au manque de professionnalisme de certains professionnels dans la chaîne de prise en charge.

‘’Une femme mariée ne dit pas non à son homme au lit’’, ‘’ tu as provoqué ce qui t’arrive à travers ton comportement, ton habillement’’ : ce sont des phrases que malheureusement certains professionnels (pas si professionnels que ça) tiennent à l’égard de victimes qui n’ont besoin que d’une attention particulière.

Le suivi de l’aspect psychologique fait, malheureusement trop souvent, défaut, surtout dans le contexte africain.

Concernant le coût, beaucoup de femmes n’ont pas les moyens nécessaires pour aller au bout du processus. Le déplacement pour les audiences et les centres de prise en charge qui, bien souvent ne couvrent pas tout le territoire (au Bénin par exemple il n’y a que trois (03) Centres Intégrés de Prise en charge des victimes de Violences basées sur le Genre (CIPEC-VBG) sur tout le territoire national) leur revient trop cher.

N’oublions pas non plus que pour obtenir réparation des préjudices causés, le retrait de la décision est indispensable et là encore la procédure nécessite un coût qui ferait abandonner la pauvre femme qui vient de quitter son mari et qui n’a de soutien financier de personne parce qu’elle est vue comme l’avoir cherché.


Beaucoup d’Organisations Non Gouvernementales mènent aujourd’hui le combat auprès des femmes, mais la tâche ne leur est souvent pas facile parce que les femmes ne veulent pas dénoncer ou se rétractent à cause des nombreuses raisons que nous avons parcourues.
Mesdames, permettez la répétition : « rien, absolument rien ne justifie une gifle ». L’autre dira « rien ne vaut la vie ». Parlons pour ne pas mourir !

AGOODOJIE!

3 réflexions au sujet de “Violences : pourquoi les victimes se taisent ou se rétractent ?”

    1. J’ai vraiment aimé l’article. Il met en évidence le rôle de chacun de nous en tant qu’ami(e), frère ou sœur dans ce cycle dangereux des violences.bravo!

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